Contre Debord by Schiffter Frédéric

Contre Debord by Schiffter Frédéric

Auteur:Schiffter, Frédéric [Schiffter, Frédéric]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2015-03-29T10:05:46+00:00


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Il y a fétichiste et fétichiste. À en croire Freud, le fétichiste refuse l’absence de l’objet de son désir. Choisissant un objet de substitution qui en est le signe, il semble dès lors trouver son compte dans cet arrangement avec le réel. Pourquoi réclamerait-il la présence de l’objet même de son désir puisque, d’une part, il en ignore la nature, et, d’autre part, à supposer qu’il la connût, il n’en jouirait pas ? Le fétichiste témoigne donc d’une « perversion » plutôt heureuse. Ce qu’il tient, ce presque rien, a le mérite d’exister et, peu ou prou, le satisfait. Sa jouissance n’étant pas ailleurs qu’en cet ici, seule la crainte de se le voir voler peut assombrir son caractère. Tant qu’il le conserve, nulle aigreur ne l’incite à protester contre une spoliation. Content de son sort, ce fétichiste-là reste alors d’un commerce supportable. Chose bien différente avec le situationniste pour qui la marchandise est le signe de l’universelle disparition de l’essence de l’homme : ce qu’elle montre ici serait ailleurs. D’où son humeur chagrine. Qu’un être cher meure, dit encore Freud, on éprouve une mélancolie réelle – l’une de ces passions tristes, dirait aussi Spinoza, accompagnée de l’idée de sa cause. Bien qu’interminable, le travail du deuil peut malgré tout commencer. Mais que faire d’un chagrin sans objet ? Incapable de se résoudre au fait que l’essence de l’homme n’est absente que parce qu’elle n’a jamais existé, le situationniste, qui préfère la croire fossilisée dans la marchandise, se résout encore moins à se satisfaire de la présence de ce qu’il appelle, avec horreur, ce fétiche. En deuil de rien, son besoin de consolation reste impossible à rassasier. Boudant le bonheur d’être triste, son acedia tourne à l’acidité. Le situationniste n’est qu’un fétichiste malheureux. Rien d’exagéré, donc, à avancer que La société du spectacle constitue le bréviaire des ressentimenteux. Sous le prétexte d’y lire la « critique de la totalité des conditions actuelles d’existence », ils y puisent de bonnes raisons d’expectorer leur impuissance à dire oui à l’égard de l’existence même. Ressentiment dont la traduction qu’en donnent les contestataires, tantôt lyrique – « La vraie vie est absente » –, tantôt lapidaire – « Changez la vie » –, revendique toujours une légitimité morale et politique. Car le drame du ressentiment, à la différence de la haine, est de n’avoir pas de raison précise d’être. C’est pourquoi toute chose, en l’occurrence la marchandise, désignée avec autorité comme étant à l’origine de cette imaginaire souffrance, est ressassée comme thème d’exaspération par l’homme du ressentiment. Pour peu que ce dernier laisse entendre que ses petites misères relèvent d’une machination planétaire, en l’occurrence le « devenir-monde de la marchandise », tout deviendra prétexte à règlements de comptes avec le monde entier. Au cri de « Moi, on ne m’aura pas ! »,

Debord s’enivra d’une puissance illusoire. « Le simple fait de se plaindre peut donner à la vie un attrait qui la rend supportable », disait Nietzsche ; le même observait encore que



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